CONCOURS DE CHANTS DE NOËL À LA GONÂVE : ENTRE TALENTS EN LUMIÈRE ET AVENIR MUSICAL DANS L’OMBRE

1Depuis près d’une dizaine d’années, chaque mois de décembre, l’île de la Gonâve, notamment la commune de l’Anse-à-Galets, vibre au rythme des concours de chants de Noël, une tradition qui mobilise jeunes et adultes autour de la musique et de la fête. Ces événements sont devenus un espace privilégié d’expression artistique, de divertissement sain et de rassemblement social. On y chante nos déboires, nos espoirs, avec des paroles parfois empreintes de nostalgie, parfois de résistance ou de prière. À travers ces concours, les jeunes gonâviens ne se contentent pas de chanter des thèmes imposés : ils racontent leur quotidien, expriment leurs blessures, mais aussi leur rêve d’un avenir meilleur pour tous.

Par ailleurs, si Radio KLASIK, qui compte sa huitième édition, a indéniablement contribué à populariser l’organisation des concours de chants de Noël à la Gonâve, elle n’est toutefois pas la seule à mobiliser les communautés autour de cette aventure musicale. D’autres institutions locales, églises, établissements scolaires, comités de quartier ou associations, organisent également leurs propres compétitions, montrant ainsi l’ancrage profond de cette tradition dans le tissu communautaire gonâvien. Cette pluralité d’initiatives témoignerait d’un réel engouement pour la musique, mais aussi d’un besoin partagé de reconnaissance, d’expression et de valorisation de nos jeunes talents. Mais derrière les mélodies entraînantes et les voix prometteuses, une réalité moins festive se dessine : ces concours, bien qu’attendus et populaires, peinent à offrir un avenir aux jeunes talents qu’ils révèlent.

Généralement, et malheureusement, une fois les projecteurs éteints, les concours terminés, les fêtes de fin d’année passées, les ambitions et les perspectives s’estompent. On se donne rendez-vous l’année prochaine, avec peut-être plus d’organisateurs de concours, aucune innovation réelle, très peu d’activités organisées, des talents révélés sans accompagnent. Les concours restent ainsi des vitrines éphémères, sans débouchés durables.

Il faut également reconnaître qu’à la Gonâve, il n’existe pas encore un véritable marché musical. S’il y a une certaine offre, la demande est très faible, et ne paie pas le produit local. Et bien que les concours de chants permettent de révéler des talents, les opportunités de développement artistique et professionnel laissent à désirer. Y a-t-il une école de musique ? Pas de politique culturelle locale ! Pas de studios d’enregistrement accessibles, sinon ECHO MUSIC, avec ses moyens techniques, logistiques, financiers très limités. Pas de maisons de production locales, ni de circuit de diffusion régulier : la musique demeure souvent une passion, un passe-temps, ou un moyen d’expression, rarement une activité génératrice de revenus. Face à cette situation, les jeunes artistes chantent souvent pour exister, pour partager leurs émotions ou espérer une reconnaissance passagère. Mais sans écosystème adapté, leur avenir musical reste incertain. Oui, certains parviennent à se produire à l’occasion d’autres activités, mais très peu réussissent à transformer leur talent en métier ou en carrière.

Paradoxalement, on est souvent amené à penser, à tort ou à raison, que l’une des principales motivations des participants est souvent les primes offertes aux gagnants. Dans un contexte de précarité économique chronique, les concours deviennent une forme d’économie parallèle, où la performance artistique devient un moyen d’obtenir un soutien financier ponctuel. Ce qui contribue à réduire l’art à un enjeu de survie, au détriment d’une démarche artistique à long terme.

Alors, il est urgent de repenser ces concours non comme des événements isolés, mais comme l’amorce d’un parcours artistique. Créer des espaces de formation continue (ateliers de chant, d’écriture, d’interprétation), mettre en place un système de mentorat avec des artistes expérimentés, développer des partenariats avec des radios ou des plateformes numériques pour diffuser les productions locales : autant d’initiatives possibles pour structurer une filière musicale à la Gonâve.

Les concours de chants de Noël à la Gonâve sont bien plus qu’un divertissement saisonnier. Ils révèlent un potentiel artistique profond, une énergie collective, un désir de reconnaissance. Mais pour que cette effervescence ne se perde pas dans l’oubli de janvier, il faut penser au-delà de la scène : créer des ponts entre le talent, la formation, la production et l’avenir. C’est à ce prix que la Gonâve pourra devenir, demain, une île de création musicale, et non seulement de chants festifs.

Dooby Jean Louis /Vedoo

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